01 Chez les bohémiens

Iris, Pete et Mihail se dirigèrent donc vers le camp des bohémiens qui s'étaient installés à quelques centaines de mètres du village, dans une clairière ensoleillée en bordure d'une grande forêt qui, même sous ce beau soleil, ne donnait pas envie de s'y promener. A l'approche du camp, ils ne virent qu'une seule roulotte peinte en rouge vif. Devant l'entrée, un chapelets de carillons en bois et de clochettes tintait légèrement avec la légère brise qui soufflait.


Devant la roulotte était attaché un vieux cheval qui ne semblait plus tout à fait fringuant. Il mangeait tranquillement dans une grande bassine en fer blanc lorsqu'il redressa une oreille puis tourna sa tête vers les visiteurs. Il regarda Iris, Pete et Mihail mais ne bougea pas. A quelques mètres de là, deux personnes se tenaient debout : une petite vieille toute ridée et un homme d'environ 35 à 40 ans assez étrangement proportionné. Il ne faisait qu'1m65, était large d'épaules et ne semblait pourtant pas pourvu d'une force exceptionnelle. Ils n'auraient su dire quoi, mais quelque chose de spécial émanait de cet homme. La femme quand à elle devait bien avoir 85 ans. Elle avait le dos voûté, de nombreuses rides et des pains parcheminées. Elle portait un grand châle tricoté maison sur ses épaules et une jupe fleurie. Les deux personnes portaient des sabots en bois. A leur tour elles entendirent les investigateurs approcher et tournèrent le regard vers eux. L'homme portait une hache à la main mais ils ne firent aucun geste hostile.

Iris sembla surprise.

Allez savoir pourquoi, je m'attendais à un camp de tsiganes, mais pas à une seule roulotte. Bizarre comment les préjugés peuvent l'emporter sur l'objectivité...

Elle s'approche des deux tsiganes avec un sourire qui se veut rassurant mais pas trop exagéré tout de même. Elle engagea la conversation en Roumain approximatif, mais en prenant soin de dire "bonjour" à la mode tsigane quand même.

Lacho dives... Numele meu este Iris. Sunt franceză şi am studiu vamal de oameni şi regiunea ... Pot sa vorbesc cu tine?

L’homme et la vieille femme se retournèrent complètement et comme les investigateurs s’approchaient, ils purent mieux distinguer leurs traits. L’homme avait un regard assez étrange. Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne paraissait pas très vif d’esprit. La femme en revanche, du haut de son grand âge, paraissait très alerte avec un regard perçant. C’est elle qui s’avança à la rencontre des intrus (Mihail et Iris traduisirent en simultané pour Pete) :

Bonjour, je m’appelle Sarena et voici mon fils Vech. Vous venez pour les tarots ?

Voyant le regard peu rassuré que les investigateurs portaient sur Vech et sur sa hache, elle reprit :

Ne vos en faites pas, il est un peu… diminué mentalement. Il n’est pas méchant. Qui plus est il est muet.

Elle ajouta à son attention :

Continue à couper le bois mon fils, je m’occupe de nos visiteurs.

Elle indiqua la roulotte aux investigateurs pendant que l'homme se remettait au travail.

Si vous voulez bien me suivre…

Les tarots?

Iris se retourna afin de consulter ses accolytes, un peu surprise... ce n'était vraiment pas ainsi qu'elle voyait cette matinée. Elle suivit néanmoins la vieille femme dans sa roulotte. Après tout, mettre en confiance les témoins pour mieux accéder aux us et coutumes est une tactique classique des ethnologues, et il faut certaines fois un temps incalculable pour y arriver. Alors des tarots... c'était un moyen comme un autre d'éccéder à cette confiance mutuelle auquel elle était prête à se livrer.

Elle murmure alors à Mihail juste avant d'entrer:

Mihail, note bien que l'ethnologue se doit de ne pas imposer son rythme, mais bel et bien de SUIVRE le rythme des témoins. De manière générale, un témoin ne livre de renseignements utiles à un ethnoloque qu'après être en confiance. Non pas qu'il désire retenir des informations, mais en général il ignore ce qui est ou non de valeur ethnologique dans ses récits. Il aura tendance à t'expliquer de long en large par exemple sa dernière partie de chasse, pensant te faire plaisir, et ce n'est qu'après un temps incommensurable à écouter ce genre de choses qu'il te racontera comme une anecdote sans valeur la comptine que sa mère lui chantait quand il était petit... et CA, ça a de la valeur pour nous!

Sarena entra dans la roulotte suivie par les investigateurs. L’intérieur valait l’extérieur. Le bois était peint de couleur vive, des breloques plus ou moins ésotériques étaient accrochées au plafond. Dans un coin un vieux poêle fonctionnait au ralenti. Un grand bac d’eau devait servir d’évier comme le montraient quelques assiettes, tasses et couverts empilés à l’intérieur. Le reste du mobilier était constitué de deux chaises, une table, deux lits, une armoire et des étagères basses. Un confort somme toute assez spartiate mais qui n’avait rien à envier au modeste appartement d’Iris. Sarena se saisit d’une grande nappe brodée et l’étala sur la table. Le tissu, bien qu’abimé par les années était d’une grande finesse et on ne doutait pas qu’il était brodé maison. Elle se mit à farfouiller dans l’armoire.

Ca fait des années que je tire les cartes aux voyageurs ou aux gens du village. Vous venez de loin, ça ne fait aucun doute. Je ne sais pas ce qui vous amène mais on ne voit pas souvent d’étrangers par ici. Ah ! les voici !

Elle ressortit la tête de l’armoire avec une boite en bois hors d’âge, puis prit place sur un lit afin de laisser les chaises à ses visiteurs. De la boite elle sortit un jeu de tarots très ancien qu’elle commença à battre en regardant les investigateurs d’un œil perçant.

Alors, que voulez vous savoir ?

Iris resta quelque peu surprise de la manière dont les événements se déroulaient. Loin de tous les clichés où les tsiganes les accueilleraient avec méfiance, elle fait face à une vieille femme somme toute clientéliste.

Elle décida donc de gagner sa confiance en jouant le jeu et en se prêtant à l'exercice de divination par les tarots en cours. Elle fit donc comme les clients habituels de cette vieille femme doivent demander. Amour, réussite dans son entreprise actuelle (sans signaler qu'elle est ethnologue, laissant donc beaucoup d'incertitudes dans ses demandes)... puis, alors que l'exercice en lui-même prend fin et qu'elle la rétribue, Iris décide de rentrer dans le vif du sujet dans un roumain approximatif que Mihail pouvait traduire en simultané à Pete.

Sarena... je viens de loin étudier les us et coutumes locales, vous savez, et je sais par expérience que votre peuple garde une très forte tradition orale. Et il est des choses que les livres ne racontent pas. Ou peu. Nous avons eu le loisir d'entendre des légendes, des contes, des comptines locales, ce qui s'est avéré intéressant, car notre travail consiste justement à garder un témoignage sur la richesse de la nature humaine, avant que des élans nationalistes ou des guerres ne les détruisent.

Sarena, je suis persuadée que vous avez beaucoup de connaissances sur ce qui se passe ici, et ce depuis longtemps. Les gens viennent vous voir, vous savez leurs secrets puisque vous les découvrez par le tarot. Il est des sujets que personne n'ose aborder ici. Comme tout ce qui est lié au chateau de ce village et de ses occupants...

Sarena, auriez vous l'amabilité de nous aider dans cette quête de la vérité?

Sarena commença à tirer les cartes à Iris. Elle étala sur la table toute le paquet faces cachées suivant un schéma compliqué puis commença à les retourner une à une. Ce qui suivit était très intéressant. Systématiquement, quelle que soit la question ou le thème abordé, des cartes revenaient invariablement dans les toutes premières tirées : le diable, la mort, la tour, les épées. Il n’y avait pas besoin d’être un grand médium pour deviner la signification de ces cartes. Mihail avait beaucoup de mal à garder son sang froid. Il commença à blêmir. Sarena elle-même avait tout le mal du monde à garder sa concentration. Après trois tirages successifs, elle était toute pâle et reprit tout le paquet de cartes en main puis le replaça dans sa boite.

Je suis désolée mais je ne vais pas pouvoir continuer pour aujourd’hui.

Iris, stoïque, sortit quelques pièces pour rétribuer la voyante puis enchaîna sur les raisons de sa venue à Drosvona puis ses questionnements vis-à-vis du village et du château. Sarena se calma un peu, reprit quelques couleurs puis regarda les investigateurs d’un air malicieux.

Vous savez, j’ai vu et entendu beaucoup de choses étranges du haut de mes 85 ans. J’ai pas mal voyagé avec mon fils dans la région et on y entend beaucoup d’inepties sur ce château et son occupant. Les gens d’ici croient dur comme fer qu’il est une sorte de vampire ou de mort vivant. J’ai personnellement vu trois Barons différents se succéder au château. Alors bien sûr, on n’y voit jamais personne d’autre, en particulier jamais une Baronne n’a mis les pieds au château, mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’une bête de légendes ! A défaut de descendants, j’imagine qu’ils se transmettent le titre entre cousins ou neveux. Ils sont d’ailleurs physiquement assez différents les uns des autres. De toute façon, ces histoires de vampires et loups garous sont juste bonnes à effrayer les enfants !

A ces mots, elle regarda avec un sourire Mihail qui n’avait pas retrouvé ses couleurs, bien au contraire.

Un grand silence s’en suivit. Un peu trop silencieux d’ailleurs. Alors qu’on avait entendu jusque là les coups de hache à un rythme régulier, Vech semblait s’être arrêté. Soudain des grognements puis un cri étouffé parvinrent aux oreilles des occupants de la roulotte. Sarena dressa l’oreille puis se leva, bouscula Pete qui était sur son passage et bondit hors de la roulotte en criant le nom de son fils. Elle courut vers la forêt en direction des cris abandonnant là les investigateurs hébétés.

Iris se leva d'un bond à la suite de la vieille femme, exultant les deux hommes qui l'accompagnent.

Et bien? Mihail! Reprends tes couleurs et arrête de croire à toutes les histoires de bonnes femmes! C'est indigne d'un futur ethnologue! Pete, c'est le moment de sortir ton pistolet, mon ami! Allons voir ce qui se passe et aider cette pauvre vieille femme.

Pete était un peu troublé. En effet, cette femme du voyage avait tiré trois fois les cartes et ne leur avait rien prédit. Au contraire, même, elle s'était arrêté comme si elle avait vu un mauvais présage.

Sarena, cela vous dérange que je vous appelle par votre prénom?

Pete attendit l'assentiment de la tsigane, puis reprit

Que vous ont dit les cartes. Elles semblent vous avoir incommodé, pourquoi donc?

Sarena regarda Pete comme troublée.

Eh bien il n’y a rien de bon dans tous ces présages. Vous savez, les cartes sont capricieuses c’est pour ça qu’il ne vaut mieux pas s’entêter parfois. Si vous le souhaitez vous pourrez revenir demain et nous retenterons l’expérience.

Alors que Sarena s’élançait à la recherche de l’origine du cri, Iris suivie de près par Pete et Mihail sortirent à leur tour de la roulotte. Ils couraient quelques mètres derrière la vieille femme et débouchèrent tous ensemble dans une petite clairière qui jouxtait celle du camp. Le spectacle qui s’offrit à leur yeux leur glaça le sang.
Vech était là, suspendu par quelques fils invisibles à un bon mètre du sol, comme en lévitation. Il se débattait contre une chose non moins invisible. Sarena et les investigateurs ne pouvaient détacher leurs yeux de ce spectacle, incapables de se ressaisir. A mesure qu’il se débattait, Vech était également inexorablement replié vers l’arrière suivant un angle impossible que même le plus doué des contorsionnistes ne parviendrait à imiter. Quelques instants plus tard, sa colonne vertébrale se brisa nette suivant un craquement horrible laissant Vech replié en deux, toujours entre ciel et terre. Sarena tomba a genoux, et se prit la tête entre les mains. Son fils était mort sous ses yeux et elle n'avait rien pu faire.

[hors jeu : Iris et Mihail perdent 2 points de santé mentale
Dites moi si vous souhaitez continuer de regarder et savoir ce qui a bien pu mettre Vech dans cet état ou si vous préférez retourner en toute hâte vers le camp]

Iris resta là comme choquée. Beaucoup de choses se bousculaient dans sa tête à ce moment. La dure réalité quant à leur réelle motivation de leur présence ici, son désir de garder Mihail hors de tout cela, sa pitié pour ce pauvre garçon ainsi mutilé, sa compassion pour cette vieille mère éplorée...

Elle prit la vieille femme dans ses bras pour essayer de lui apporter du réconfort. Ainsi les cartes avaient révélé non pas son avenir, mais l'événement dramatique qui s'était déroulé sous leurs yeux.

Pourquoi?

Sarena... Sarena... je suis désolée pour votre fils... vraiment désolée... mais qu'est-ce que c'était?


Elle regarde Mihail qui semble aussi secoué qu'elle, et reprend ses esprits, tout au moins pour ce qui est de sa protection. Elle prit un ton bien plus autoritaire et froid que nécessaire, comme pour un enfant que l'on veut éviter de voir aller trop prêt d'un précipice.

Mihail. Rentre à l'auberge au plus vite... je suis responsable de ta sécurité et il est évident qu'il s'est passé quelque chose hors de notre compréhension ici. File vite, je te retrouverai plus tard. FILE!

Puis d'un regard vers Pete qui, lui, semblait mieux surmonter la chose, elle lui demanda sans mot dire s'il pouvait aller voir le corps de ce pauvre être tout en restant prudent...

Pete regarda aux alentours à la recherche d'un drap pour couvrir le corps du défunt. L'ayant trouvé, il regarda rapidement et lui fit un signe de tête d'assentiment. Pete tat sa poche pour chercher quelques choses qui pourrait un peu le rassurer (son vieux pétoire), puis doucement, se dirigea vers le corps cassé en deux, tel une brindille.

Il en fallait de la force pour faire cela...

A mesure que Pete s’approchait du corps de Vech, tous virent quelque chose qui dépassait l’entendement. Alors qu’ils pensaient que l’homme avait été torturé par quelque force invisible (bien que cela en soit ne soit pas très commun), ils comprirent bientôt que quelque chose de bien palpable était à l’origine de cette horreur. Cela prit tout d’abord la forme de minces filaments rouges qui se déroulaient depuis le malheureux. Les filaments devinrent de plus en plus gros et nombreux. Pete qui était suffisamment près pu se rendre compte que ce n’étaient pas réellement des filaments mais plutôt de minces tubes qui se remplissaient de... sang... et qu’on pensait qu’ils grossissaient mais que c’était uniquement l’afflux de liquide rouge qui les rendait... visibles ! Tous ces tubes convergeaient vers une poche qui se remplissait petit à petit et devenait visible à son tour, comme un estomac au cours d’un macabre festin. Tous ces petits tubes n’étaient pas sans rappeler des pseudopodes et Pete dut faire un effort surhumain pour se maitriser. Il revoyait les tentacules sortant du puits quelques semaines plus tôt. Seule l’injonction d’Iris à l’adresse de Mihail le fit reprendre pied dans la réalité. Le jeune ethnologue était justement bien incapable de bouger face à ce spectacle répugnant. C’est alors que tous prirent conscience d’une chose : si cette… créature quelle qu’elle soit avait réussi à briser Vech en deux, que se passerait-il quand elle aurait fini de se remplir de son sang ? Serait-elle rassasiée ou chercherait elle une nouvelle victime ? Il fallait prendre une décision au plus vite.


[Hors jeu : Pete, Iris et Mihail perdent 1 point de santé mentale]

Iris eut un mouvement de recul, tenant Sarena dans ses bras et l'empêchant de regarder ce qu'il advenait de son pauvre fils.

Mais... mais c'est horrible!

Prenant Mihail par la main, elle le tira en arrière, tout comme Sarena, pour qu'ils se mettent à l'abri. Dans la panique, elle parlait en Français, oubliant que ses interlocuteurs ne la comprendraient pas... ou peu.

Nom de dieu de nom de dieu... mais c'est quoi cette créature de cauchemar? Il faut s'en aller, là. Et vite! Nom de nom... c'est bien pire que je n'avais imaginé!

Reprenant ses esprits, elle crie à Pete:

Pete! On décroche! Pas la peine de s'exposer inutilement, on ne peut plus rien pour ce pauvre Vech.

Puis, tout en reculant vers la roulotte où elle comptait bien garder refuge, elle demanda à Sarena en Roumain approximatif.

Sarena! C'était quoi ça?

Pete ne sut comment, mais bien qu'effrayé entendit Iris et recula vers elle. Il était blanc comme un linge.

Iris, nous nous sommes pas en sécurité ni dehors, ni dans la roulotte... Il nous faut revenir à l'auberge et VITE!!! Je craint que nos bâtons soient insuffisant pour tenir tête à ...

Pete réfléchit, mais ce qu'il avait vu, était complètement indescriptible, unique... Il déglutit avec le peu de salive qu'il lui

... CHOSE

Pete regarda tout le monde de façon anxieuse

Et s'ils étaient plus nombreux... Qu'allons nous faire????

Compris!

Iris courut en arrière, rejoignant Mihail et l'aida à transporter la vieille tsigane loin de ce lieu maudit, afin de rejoindre au plus vite l'auberge. Tout en courant, elle pensait qu'il va falloir au plus vite se concerter. Décider.

Les investigateurs battirent en retraite vers le village tout en soutenant Sarena qui avait sombré dans l’apathie la plus totale. Elle bredouillait en roumain, ouvrait de grands yeux apeurés et ses membres étaient tétanisés. Alors qu’ils quittaient la clairière, la chose désormais bien visible s’envola, repue du sang du pauvre Vech qui retomba comme une poupée cassée. Mihail quand à lui se demandait ce qu’il avait vu, si cela était le fruit de son imagination, une hallucination collective causée par quelque nourriture roumaine avariée ou bien quelque chose de bien réel qui dépassait l’entendement.

Pete, Iris, Mihail et Sarena se retrouvèrent donc à l’auberge vers 12h30.